Préface

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Un ami m’invite à écrire la préface de son livre, qui est encore à l’étape du manuscrit. Flattée, j’accepte, tout en lui faisant remarquer qu’une préface de moi, parfaite inconnue, ne l’aidera pas à convaincre un éditeur. C’est pas grave, qu’il me dit.

Puis je me demande à quoi servent les préfaces et, surtout, qui lit les préfaces. Qu’est-ce que la préface apporte au livre qui ne s’y trouve déjà? Et s’il ne s’y trouve déjà, c’est peut-être qu’il ne sert à rien. Ou que l’auteur a mal fait son travail. Au fait, tout bêtement, qu’est-ce qu’une préface?

Sur Wikipedia1, j’apprends que « les Italiens appellent la préface “la salsa del libro” : la sauce du livre. Marville dit que, si elle est bien assaisonnée, elle sert à donner de l’appétit, et qu’elle dispose à dévorer l’ouvrage ». Cette définition toute charnelle me plaît assez, même si j’ignore qui est ce Marville et même si je pense que personne ne lira cette préface ou alors quelque lecteur qui aura encore faim quand il aura achevé le livre et reviendra au début pour lire cette préface qu’il avait d’abord escamotée tant son appétit était déjà largement ouvert. Il y viendra finalement avec l’espoir de trouver quelques miettes de cette écriture qu’il aura aimée. La préface deviendrait de facto postface. Peut-on écrire une préface qui fasse office de postface? Pour filer la métaphore de l’appétit, peut-on servir une entrée au dessert?

Toujours selon Wikipedia2 (veuillez pardonner ma paresse) : « la postface, bien qu’elle puisse faire office de conclusion, présente des informations qui ne sont pas essentielles à l’intégralité de l’ouvrage, mais qui sont toutefois jugées pertinentes ». Pas très différente de la préface tout compte fait, si ce n’est cet aspect conclusif. Il me semble que mon ami aurait écrit lui-même sa postface s’il avait jugé utile de le faire. J’écrirai donc une préface, courte, en y laissant tomber quelques miettes de l’écriture de mon ami.

1) https://fr.wikipedia.org/wiki/Pr%C3%A9face_(litt%C3%A9rature)
2) https://fr.wikipedia.org/wiki/Postface

La mort devant soi

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Au milieu des concerts d’éloges qui ont accompagné le décès de Jacques Parizeau, je n’aurais pas osé publier ce billet, même s’il ne parle pas du tout de Jacques Parizeau. Cependant, c’est en lisant l’entrevue accordée au Devoir par Lisette Lapointe, après le décès de son mari, que le sujet m’est venu : le tabou de la mort. Un tabou que l’on entretient si bien dans notre société qui se dit pourtant évoluée, ouverte, même au suicide assisté (qu’elle appelle, ça vaut la peine de le souligner, « aide à mourir »).

Dans l’entrevue, Madame Lapointe dit en substance que son mari « adorait la vie », et qu’« On aimait trop la vie pour parler de la mort. Il était dans la vie, dans les projets, toujours vers l’avant. » À 85 ans, je me demande comment on peut regarder vers l’avant sans voir la mort, ne serait-ce que son ombre. Surtout quand on est malade, hospitalisé depuis des mois, même si on garde espoir d’en sortir bientôt. Brillant économiste, Monsieur Parizeau savait compter les années et évaluer les probabilités.

Je me demande aussi comment on peut « trop aimer la vie pour parler de la mort ». Faut-il nier la mort pour aimer la vie? La mort ne fait-elle pas partie de la vie? Madame Lapointe confie également qu’elle n’avait pas révélé à son mari le verdict des médecins. Nier, puis taire la mort, pour la laisser nous prendre par surprise. On préfère qu’elle nous tire dans le dos plutôt que de la regarder en face.

Ceux qu’on aime vont mourir. Nous allons mourir aussi. Avant ou après eux, on ne sait pas, mais c’est certain qu’on va tous y passer. Pourtant, on passe notre vie à faire semblant que la mort n’existe pas. Même quand elle est imminente, on préfère parler de l’âpre combat qu’un tel mène contre le cancer ou du courage d’un autre pour rester en vie « encore un peu ». Jamais lu ou entendu d’éloge funèbre où l’on parle de la grâce avec laquelle le mort a vu sa fin venir, comme si c’était là un signe de faiblesse, une forme d’abdication. Pourtant, face à la mort, je ne connais pas d’autre posture, c’est un combat perdu d’avance.

Quand je pense à la mort, ce qui me peine le plus, c’est la solitude extrême dans laquelle on franchit le dernier pas. Je crois que si l’on parlait ouvertement de la mort, les mourants se sentiraient moins seuls, les survivants aussi. Avec le nombre grandissant de personnes âgées et très âgées dans notre société, c’est un tabou qu’il serait peut-être temps de lever.

Les personnes âgées, les aînés et les vieux

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À quel âge devient-on âgé? « Bien qu’il n’existe aucune définition consensuelle des personnes âgées, on convient généralement que ce concept reflète un processus commençant à l’âge d’environ 65 ans et qui est associé à une altération graduelle de la fonction se poursuivant jusqu’à la fin de la vie. »1 Un processus d’altération graduelle de la fonction… Quelle fonction? LA fonction. Quand on commence à moins bien fonctionner dans l’ensemble. Cœur, poumons, foie, cerveau, ligaments, nerfs, ouïe, pitié. Fonctions cognitives, fonctions digestives, fonctions auditives et fonctions auxiliaires. Quand on commence à en perdre. Pertes de mémoire et pertes urinaires. Mais tout est relatif. Il y en a qui gambadent à 70 ans et d’autres qui ont du mal à se traîner à 40, mais il fallait bien mettre un chiffre pour les pensions, la sécurité de la vieillesse, le maintien à domicile. Mettre la barre, tirer un trait. Fonction comptable.

Cela dit, je préfère les « personnes âgées » aux « aînés ». Ma mère n’est pas une aînée, même si elle a 81 ans, c’est une enfant unique. Ce n’est donc pas une puînée non plus. Elle est tout simplement âgée, c’est-à-dire qu’elle a commencé à en perdre. Je ne suis pas certaine que ç’a ait commencé au matin de ses 65 ans, mais bon, puisqu’il fallait tirer un trait. Avant d’être âgée, elle était tout simplement une personne comme une autre.

Comment définit-on les « aînés »? D’abord, il semble que cette façon d’appeler les vieux soit propre au Québec. Je la soupçonne d’être venue des senior citizens, puis des seniors tout court, de nos voisins du Sud ou de l’Ouest. On aura voulu calquer le concept sans copier les mots. On aura préféré « aînés » à « vétérans » pourtant utilisé pour les vieux sportifs, les anciens combattants. La vie étant un combat, « vétéran » aurait été plus approprié. Les vétérans, ceux qui continuent, ceux qui n’ont pas lâché malgré LA fonction qui a commencé à s’altérer graduellement. Mais « vétéran » au féminin, ça fait quoi? Non, ça ne fait pas « veuve de guerre » : Antidote propose « vétérane » ou « vétérante ». Imaginez une itinérante vétérante. Je continue de préférer « personne âgée », toujours féminin, même quand on parle d’un vieux. C’est vrai que les femmes vivent plus longtemps que les hommes, il y a donc plus de personnes âgées que de vieux.

Et puis, quand le processus d’altération graduelle est très avancé, on fait quoi avec nos « aînés »? Ils deviennent « très aînés »? Non, ce sont tout simplement des personnes très âgées. Et ce n’est pas un euphémisme de plus qui va empêcher le processus d’altération graduelle.

1) Extrait des Lignes directrices de pratique clinique de l’Association canadienne du diabète (2013)