La tombe de Marcel Proust

Aujourd’hui, 18 novembre 2022, il y a cent ans que Marcel Proust est mort. Ça m’a donné envie de sortir cette photo qui date de 1983. De mon premier voyage en France. Sur le bloc de marbre noir, il n’y a pas de noms, mais quelques roses fanées. Ce que la photo ne montre pas, gravés sur les autres côtés du bloc, ce sont les autres noms de la famille Proust. Marcel n’est pas tout seul ici, mais c’est lui qu’on vient voir.

Photo souvenir

J’étais venue au Père Lachaise par un dimanche gris et humide qui ne sentait pas trop le diesel. Quelques jours auparavant, j’étais allée au cimetière de Montmartre voir Stendhal, à celui du Montparnasse voir Maupassant. Le Père Lachaise était plus vaste, plus fréquenté aussi. Au point où on vous remettait un plan à l’entrée qui vous permettait de retrouver les tombes des personnages les plus illustres. Je savais qui je venais voir, alors, je me suis tracé un petit itinéraire.

Je commençais à arpenter les allées quand une femme d’une dizaine d’années de plus que moi s’est approchée timidement, intéressée par le plan que je tenais à la main. Elle parlait anglais avec un fort accent russe. Elle cherchait Balzac. Je lui ai proposé qu’on le trouve ensemble. Elle a paru soulagée.

Alors, tout en marchant, elle me raconta le rêve qui l’avait amenée ici. Elle n’avait jamais lu Balzac, mais elle était allée, la veille, au Musée Rodin où les sculptures le représentant (des études pour le monument du Père Lachaise) l’avaient impressionnée de telle sorte que dans la nuit, elle avait rêvé à l’auteur de la Comédie humaine. Il lui demandait de venir le voir au Père Lachaise. Dans son rêve, Balzac était autoritaire, presque menaçant. L’avait-il été dans la vie ? Je ne crois pas, lui dis-je, en souriant. Mais qu’est-ce que j’en savais ? Je l’imaginais plus ambitieux qu’autoritaire, plus nerveux, beaucoup plus agité que son monument.

Nous avons exploré le lot de Balzac ensemble pendant que je racontais à ma compagne de fortune, la vie de l’auteur, son oeuvre. Elle a voulu que je la laisse seule un instant avec lui.

Nous avons passé le reste de la journée ensemble à visiter les morts qu’elle connaissait, ceux que je connaissais. Elle me raconta sa vie solitaire de juive russe exilée à New York. À l’époque, on croisait encore peu de Russes. Elle trouva le monument à Oscar Wilde impressionnant, je trouvai la tombe de Proust décevante. J’avais tant vanté l’auteur d’À la recherche du temps perdu à ma compagne, j’ai pensé, en voyant la tombe, qu’elle croirait que je mentais, que j’avais tout inventé depuis le début. Et pourquoi cette tombe banale n’est-elle pas plus fleurie ? Il n’a pas un gros fan club, ton Marcel.

Elle me demanda plutôt, après une pause méditative, s’il était juif. Euh, oui, enfin, par sa mère, mais bon, pas plus que ça. Et alors ? Alors, cette tombe est typique de la tradition juive, sobre, me dit-elle en me touchant l’épaule comme pour me consoler. Puis elle fit quelques pas pour me laisser seule avec mon cher Proust.

Nous avons quitté le cimetière en marchant lentement.

Je ne savais pas que j’allais y revenir aujourd’hui, presque 40 ans plus tard, comme si c’était hier.

« Si on est un lecteur, on arrive à Proust à un moment donné », dit Lucien Bouchard dans cet article du Devoir d’aujourd’hui.