Fut un temps, ou le passé simple sans histoire

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« Fut un temps où », la phrase commençait comme ça, au milieu d’un texte très administratif, tout à l’indicatif présent, écrit par quelqu’un dont ce n’est pas le métier, écrire. « Fut un temps où », j’ai sursauté, lu la phrase jusqu’au bout, puis j’ai biffé. C’était quand, ça, « un temps »? ai-je demandé dans mes notes de révision, tout en expliquant que cette référence à un passé hypothétique ne soutenait pas les idées qui étaient défendues. L’auteur n’a pas retenu ma révision et n’a pas répondu à ma question. « Fut un temps » est resté.

Je n’ai pas eu de réponse, mais j’ai compris que le passé simple en français n’est pas seulement le temps de la narration : il est idéal pour entretenir les préjugés sur un passé plus simple que le présent multi (-tâche, -disciplinaire, -fonctions, etc.). En écrivant « Fut un temps », l’auteur n’avait pas besoin de dire à quel moment il se référait, pas plus que l’auteur de contes qui commence avec « Il était une fois ». Personne ne va lui demander : « C’était quand, cette fois-là ? » Une fois, c’t’une fois. L’imparfait est parfait pour laisser le lecteur imaginer le passé qu’il veut bien. Le situer plus près ou plus de loin de lui. À sa guise.

Mais ce passé simple, qui arrivait comme un cheveu sur la soupe, donnait aussi un air de légitimité à ce qui suivait. Il introduisait quelque chose de sérieux, d’universel, d’irréfutable. Au milieu d’un texte sans histoire, on aurait dit une voix qui nous arrivait de ce temps-là. La phrase suivante était courte, et tout aussi porteuse de vérité : « Cette époque est révolue. » En deux phrases, l’auteur avait réussi à faire un portrait trompeur du passé puis à annoncer une révolution. Révolu qu’il était le passé si simple. Tout est tellement mieux maintenant.

C’est vrai : on n’arrête pas le progrès, comme ils disaient dans le temps.