La faute à Rivarol, entre autres

Je viens juste de découvrir ce petit ouvrage de la sociolinguiste Anne-Marie Beaudoin-Bégin qui semble s’être donné pour mission de mettre les pendules à l’heure dans notre rapport à la langue française. L’ouvrage date déjà de 2019 et complète une trilogie d’essais (La langue rapaillée, La langue affranchie, La langue racontée) qui décapent plusieurs idées reçues, dans un style pas du tout académique qui vise apparemment à vulgariser et à persuader.

Je dis un « petit ouvrage » parce que c’est court (151 pages) et que ça se lit d’une traite, mais j’y ai fait une grande découverte. J’ai enfin compris d’où venait ce préjugé sur la langue française qui serait plus belle, plus riche, plus propre à exprimer des idées complexes que d’autres. J’ai déjà exprimé mon agacement face à ce préjugé.

Eh bien, ça vient de loin ! Et ça ne vient pas d’ici, mais d’Europe, du temps où la langue française y était la lingua franca, la langue de prestige (pas pour des raisons linguistiques, évidemment, mais politiques, économiques, culturelles, comme l’anglais est aujourd’hui la lingua franca ; la langue, ne l’oublions pas, c’est très politique). En 1783, écrit Beaudoin-Bégin, Rivarol dit ceci :

(…) notre langue est plus faite pour la conversation, lien des hommes et charme de tous les âges, et puisqu’il faut le dire, elle est de toutes les langues la seule qui ait une probité attachée à son génie. Sûre, sociale, raisonnable, ce n’est plus la langue française, c’est la langue humaine.

Beaudoin-Bégin d’ajouter qu’« il faut bien comprendre cette idée (d’une langue de prestige), car elle teinte encore l’imaginaire francophone. Elle n’est jamais complètement partie ».

Eh non, presque 250 ans plus tard ! Les préjugés, c’est comme les mauvaises habitudes, c’est dur de s’en débarrasser.

Laissons l’italien au sexe faible et l’allemand aux brutes

Rivarol, en s’exprimant ainsi sur la « langue humaine », répondait en fait aux questions de l’Académie Royale des Sciences et Belles Lettres de Berlin, qui demandait, dans le cadre d’un concours, « qu’est-ce qui avait rendu la langue française universelle ? » et « pourquoi méritait-elle cette prérogative ? ». Rivarol, pour démontrer la supériorité du français, n’hésite pas à le comparer à l’italien et à l’allemand. C’est irrésistible :

La pensée la plus vigoureuse se détrempe dans la prose italienne. Elle est souvent ridicule et presque insupportable dans une bouche virile, parce qu’elle ôte à l’homme cette teinte d’austérité qui doit en être inséparable. Comme la langue allemande, elle a des formes cérémonieuses, ennemies de la conversation, et qui ne donnent pas assez bonne opinion de l’espèce humaine. On y est toujours dans la fâcheuse alternative d’ennuyer ou d’insulter un homme. Enfin, il paraît difficile d’être naïf ou vrai dans cette langue (…)

Ma petite chambre d’écho

Enfin, Beaudoin-Bégin s’attaque aussi à d’autres préjugés comme celui qui veut que la langue se dégrade, mais il y aussi Benoît Melançon qui prend le sujet à bras-le-corps dans Le niveau baisse (2015). Elle glisse un mot sur les réformes orthographiques qui se butent à des arguments comme l’appauvrissement, l’enlaidissement de notre si belle et si difficile langue. Là-dessus, les Belges Hoedt et Piron en ont aussi long à dire, et ils sont drôles. Ça date un peu, mais ça s’écoute encore sur Radio France.

Oui, je sais, la confrontation des idées nous ouvre l’esprit, mais des fois, ça fait du bien de se retrouver sur la même longueur d’ondes que d’autres.

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